Le mot Cancer fait peur aux clients
Parallèlement je continuais à tenir la librairie.
Et j’avais besoin de prononcer le mot « cancer » sans cesse devant les clients, comme pour le démystifier, hors la présence de Philippe qui descendait souvent à la librairie.
Ce mot faisait-il peur aux clients ? pensaient-ils plus au moins que cela pouvait être contagieux ? sans doute savaient-ils que cela ne l’était pas, mais fuit-on un malade grave par une peur sans fondement ? irrationnelle ? fuyaient-il la mort que représentait encore le cancer ? fut-ce la raison de la baisse sensible du chiffre d’affaires ?
Je tombe en dépression
Sans en prendre conscience je tombais peu à peu dans une forme de dépression qui me rendait agressive.
Mais n’y prêtais pas du tout attention. Toute ma force était tournée vers Philippe.
Le médecin avait dit : « je lui fais un traitement de cheval ».
Je commençais à crier à tout propos.
J’étais au bord de l’effondrement.
Au quotidien je portais seule le cancer de Philippe puisque lui-même niait son existence et que je n’osais l’en dissuader.
Il est impossible de dire à son compagnon
« tu as le cancer, prends en conscience ».
S’il avait besoin de l’aveuglement pour supporter son mal je devais le respecter.
Voilà pourquoi je disais le mot « cancer » devant les clients.
Je ne prévoyais pas que cette atmosphère ferait tomber ma librairie…
Étant donné que nos salaires ne pouvaient plus nous être versés normalement, il m’incita, avant que la série d’injections commence, et en attendant la radiothérapie qui devait avoir lieu en septembre, à chercher un emploi temporaire de remplacement dans une libraire.
Je suis embauchée libraire à la Libraire Vrin
J’eus de la chance car je trouvai un tel emploi à la librairie Vrin, spécialisée en philosophie, sur la place de la Sorbonne.
Cet emploi me fit du bien. J’étais dans un environnement de gens agréables, supervisée par la libraire et la famille Vrin.
Les clients étaient des habitués, souvent connus, je fis ainsi des impairs en en reconnaissant quelques-uns mais incapable de me rappeler leur nom, alors que pour certains je les avais côtoyé début des années 1970 durant ma période de militantisme intensif.
Ils avaient aussi à côté une deuxième librairie mais d’occasions. Cela me rappelait un peu mon adolescence quand je fréquentais la librairie PUF en face un peu plus bas, j’y retournais juste pour le plaisir et la voir sous un autre angle, pour apprendre en tant que libraire cette fois.
Quand je réintégrai notre librairie j’allais mieux. Cette brève séparation nous avait fait du bien.