Alors tout bascula.
Jean-Jacques Porchez s’engage
Après avoir passé deux certificats de physique-chimie, alors qu’il en fallait trois pour obtenir la licence, il s’était fait embaucher en tant que professeur pour une année scolaire par le nouveau gouvernement de l’Algérie libérée de la colonisation française depuis le 5 juillet 1962. Soit pas par la coopération française où le salaire eut été plus confortable mais le sens politique opposé.
Soutien clandestin du FLN de Jean-Jacques Porchez adolescent
Et il me parla de la guerre d’Algérie qui m’avait à peu près échappée.
Chez moi on n’en avait jamais parlé, je n’avais qu’entendu à la radio les informations de bombes et violences diverses sans en comprendre le sens.
Il m’expliqua comment, à partir de ses années au lycée Buffon où il avait eu des contacts, il avait fait du soutien au FLN clandestinement en France et pour lequel il avait été condamné à la prison. Il avait fait partie du réseau Jeanson, des « porteurs de valise », c’est à dire qu’ils transportaient les fonds collectés auprès des Algériens habitant en France pour financer la guerre en Algérie, qu’on peut appeler de résistance, contre l’occupant colonisateur, la France.
Un procès ouvert le 5 septembre 1960 condamna Algériens et Français qui y avaient participé. Sa peine avait été parmi les plus légères puis amnistiée, d’autres furent condamnés jusqu’à 10 ans, dont Francis Jeanson, le créateur, en 1957, de ce réseau, condamné par contumace à 10 ans pour haute trahison.
Il entama, pour m’instruire, un réquisitoire contre la colonisation et pour la liberté des Algériens.
Je me politise par transfert
Le mot « liberté » avait pris un sens particulier pour moi depuis peu
Mes parents avaient vu la perte volontaire de ma virginité comme une infamie parce que fille je ne pourrai plus me marier honorablement. Pour me signifier leur désapprobation ils m’avaient interdit de sortir, sauf pour continuer à me rendre à mon emploi.
J’avais vivement ressenti cet enfermement, connaissant une liberté de mouvements et d’actions depuis au moins mes 9 ans ½, âge auquel j’avais commencé à prendre le train, bien qu’auparavant j’allais déjà seule à l’école primaire, et pouvais fréquenter qui je voulais en dehors de l’école.
Sans doute les avais-je déçue, nos parents étaient sans aucun doute convaincus, que bien que ne nous faisant pour ainsi dire jamais la morale, la manière de se comporter dans un cadre moral allait de soi. Ce n’était jamais vraiment dit, leur exemple semblant être l’évidence. Ils étaient tous deux honnêtes, droits, non racistes.
Quoique la « droiture » appliquée par ma propre mère vis-à-vis de moi était sujet, dans l’ignorance de son mari, à contestation. En fait elle m’avait incitée à développer ma liberté pour me préserver d’elle, pour trouver ailleurs mon mode de vie hors de son influence malsaine.
De plus j’avais ouvert mes lectures à Sartre qui parlait sans cesse de liberté, et bien que je n’avais personne avec qui exercer quelques réflexions philosophiques que ce soit, et que j’avais perdu la fréquentation de Jacques qui aurait été le seul avec qui j’aurais pu avoir ce genre d’échanges. N’ayant pas suivi la classe de philosophie, j’avais essayé de m’y initier seule en me procurant les livres scolaires de la classe de philosophie.
Ainsi Jean-Jacques arrivait à un moment charnière de ma vie
Il me proposait une nouvelle morale : militer. Bien que j’étais loin d’envisager les répercutions que cela aurait sur toute ma vie, voire d’en comprendre le sens, le mot « militer » n’ayant sans doute même pas été prononcé. En cette période je n’avais pas encore compris que la vie de Sartre était « engagée ».
Ainsi notre relation commença sur une méprise ou ce qu’on pourrait plutôt appeler « mon transfert« .
- La liberté désirée pour ma vie quotidienne je la généralisais à la liberté d’un peuple : les Algériens.
Mais n’est-ce pas le cas de la plupart des militants ?
- Quand il s’agit de colonisation qu’on ne subit pas soi-même mais contre laquelle on se mobilise le « bon cœur » n’est pas suffisant. Il y a toujours la mise à la place de l’autre par le raisonnement intellectuel qui devient philosophique quand il s’applique au général et se transforme en mode de vie dans sa relation à tout autre.
C’est ainsi que j’envisageais maintenant qu’il s’applique à tout, dont ma vie quotidienne. Bien que je ne le raisonnais pas encore clairement, c’était une évidence instinctive puisque le mode vie idéal que j’essayais de m’appliquer en était la base.
Mais pour cette dernière il y eut maldonne dans la suite de ma relation avec Jean-Jacques, lui, ne l’appliquait qu’à un peuple, non aux personnes les plus proches de lui, la suite de sa vie allait le démontrer.
Pour tous les intellectuels français engagés dans cette idéologie il comporte aussi le rapport à l’Histoire. Timide puis oubliée il y avait eu une première protestation au début de la colonisation de l’Algérie au 19ème siècle, tant par les Algériens eux-mêmes que par des « intellectuels » français, mais elle prit son ampleur à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. La guerre d’indépendance des Algériens avait commencé en 1954, et prit le nom, en France, de « événements d’Algérie », « guerre d’Algérie » ne fut adoptée qu’en 1999.
Jean-Jacques m’incita à faire un deuxième aller/retour sur ce caïque, cette fois dans deux couchettes superposées, gratuitement, soit pris en charge par le tronc commun ! Sans doute avec l’accord du capitaine… en parla-t-il un jour au voyagiste organisateur de ce tour ? Et mes parents les en informais-je ? sans doute !