En France c’est le rationnement
Le rationnement a commencé par les Allemands qui prenaient toute la production française tant alimentaire qu’industrielle pour l’exporter vers l’Allemagne à partir de 1940 (avec la collaboration de Pétain) et continua après la Libération jusqu’en 1949 : la France devant reconstruire son industrie, ses routes, ses voies ferrées, et la distribution des vivres produites par les agriculteurs se réorganiser.
Le rationnement à partir de la libération du territoire, qui s’opéra graduellement à partir de 1944 (1) était contingenté par famille selon le nombre et l’âge des personnes habitant sous le même toit, sous forme de tickets distribués aux familles. Au moins après la libération le trafic par collaboration avec l’occupant n’était plus possible.
Tout était rationné en France jusqu’en 1950 :
le pain, base de l’alimentation française, toutes les denrées alimentaires, et le charbon qui n’était plus produit les mines ayant été volontairement détruites par l’occupant allemand, si bien que non seulement les habitants n’avaient pas de quoi se chauffer, mais surtout les industries ne pouvaient tourner faute d’énergies et le transport par train à vapeur ne pouvaient rouler faute de charbon.
La plus grande partie du territoire français était en ruine tant les routes que les immeubles au sol sous forme d’immenses tas de cailloux. Il m’en reste quelques images dans mes souvenirs.
Des paquets de riz envoyés depuis Milan
Je me souviens que des colis nous arrivaient depuis Milan, où habitait mon oncle Giordano, durant les années 1940 et 1950 ; ce qui reste mystérieux parce que l’Italie subit sévèrement aussi la guerre et de plus devait se relever du fascisme du au ; à moins que les plaines du Pô où se cultivaient le riz, n’aient pas trop soufferts.
J’ai quelques souvenirs de l’Italie de fin de guerre puis de celle des années 1950. Souvenirs renforcés par la vision des films du néoréalisme (Roberto Rossellini, Vittorio De Sica) à partir des années 1945 tant que par la littérature (Elsa Morante, Pier Paolo Pasolini) qui décrivait ce petit peuple des rues d’une Italie pour ainsi dire misérable :
le peuple d’Italie n’ayant plus de quoi se nourrir, les enfants faisant de la petite contrebande de cigarettes dans les rues ; la France était détruite et pauvre, l’Italie devait se relever du fascisme et de la guerre qui la traversa du Sud au Nord par la reconquête de mois en mois, à partir de 1943, par les alliés, la prostitution n’était souvent que le seul recours des femmes pour nourrir leur famille.
Ces colis contenaient des petits sacs de coton quadrillé de couleurs (vert clair, rose, jaune) finement cousus pour résister au voyage depuis Milan. Ils contenaient un kilo de riz. Mon oncle, célibataire, prenait sans doute ce parti de nous aider parce qu’ils savaient que nous étions une famille de quatre personnes dont deux enfants.
Peut-être en faisait-il autant pour son autre sœur vivant à Reims avec sa famille comptant aussi deux enfants. Ces colis étaient une joie visuelle et de nécessité absolue, et du changement de l’ordinaire totalement insuffisant pour nourrir un être humain adulte le rationnement n’apportant que la moitié de ce qu’il est indispensable pour survivre. Pourtant pendant et après guerre l’Italie n’était pas plus « riche » que la France, voire l’inverse, ce pays ayant vécu le régime de Mussolini fondateur du fascisme . Moi, née durant la guerre et donc ne connaissant que le tapioca depuis toujours, j’avais quelque résistance à apprécier ce met qui me paraissait sans aucun attrait, malgré son magnifique emballage.
Alda va à Milan voir sa mère en 1945, je l’accompagne
C’est donc à Milan que Alda se rend aussitôt que la fin de la seconde guerre mondiale le permit, en 1945. Sa mère est malade, ce sera la dernière fois qu’elle la verra, et sans doute ne l’a-t-elle pas vu depuis qu’elle était parti pour Reims, à la mi des années 1920.
La guerre fut une période délicate pour les frères et sœurs le cadet Giordano se battant dans les rangs de l’armée de Mussolini contre ses sœurs qui vivaient en France. Mon oncle était déchiré de devoir se battre dans les Alpes contre les Français.
Je n’entendis jamais aucun propos raciste dans ma famille. Elle ne parla du racisme qu’elle avait subi qu’à partir de la seconde Guerre mondiale car l’Italie se battait contre la France à ses frontières sud.
Ma mère se rend à Milan quand l’armistice le permet, en me prenant avec elle, alors âgée d’environ quatre ans : elle a apprit que sa mère est malade et va probablement mourir.
De ce voyage à Milan en 1945 est restée dans ma mémoire la chambre où vivait cette grand-mère. La pièce était coupée en deux par un rideau. D’un côté le lit où elle était couchée, de l’autre, où donnait la porte d’entrée, une sorte d’évier/lavabo. L’immeuble était de deux ou trois étages, le deuxième où était située la chambre, comportait une coursive donnant sur une cour où s’ouvraient toutes les chambres ou appartements. Je jouais dans cette cour avec des enfants Italiens. Comme tous les enfants comme instinctivement doués pour les langues étrangères, je pratiquais l’italien pour communiquer avec les enfants.
Mon oncle, Giordano, en fut charmé, mais je l’oubliai aussi vite que je l’avais appris, pour non pratique, ma mère ne le parlant pas du tout, en fait ne connaissant pas cette langue, sa propre mère, Anita, ne devait jamais lui parler qu’en français pour son intégration dans le pays où ils vivaient. L’italien s’était donc perdu dans la famille vivant en France dès les années 1920, regrets.
En revenant en classe après mon voyage de quelques mois en Italie, je clame fièrement : « je suis Italienne ». Je le clamerai plusieurs années. Puis j’oubliai, préférant un « je suis Méditerranéenne » pour me distinguer de l’ambiance nord-américaine, de l’époque. Une forme de revendication de différence, d’identité particulière, faire un pas de côté pour déranger les autres, en effet cela provoquait un arrêt brutal de toute conversation avec mes interlocuteurs.
Malheureusement « dotée » de la forme de handicap qu’est la dyslexie, et malgré mes efforts, je ne pus jamais parler italien à mon grand regret. Malgré tout je pouvais lire et comprendre des journaux quotidiens. Ce qui me sera utile à l’occasion d’une annonce historique (2).
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Notes :
(1) – débarquement en Normandie le 6/06/44, libération de Paris le 24/08/44, puis l’Est progressivement jusqu’à la capitulation du 8 mai 1945 à Berlin.
(2) – je ne l’avais pas autant perdu que je croyais en effet durant la chute du mur de Berlin, en octobre 1989, alors que j’étais en vacances en Turquie, sans autre information que le quotidien La Repubblica (seul journal qui arrivait dans cet hôtel), je lisais ce journal sans problème et pouvait communiquer mes informations à l’Allemande, qui comprenait le français, qui m’accompagnait !